Cinq millimètres de perfection

Dorées, croustillantes, délicieuses… les frites sont tout sauf consensuelles. En Belgique, leur préparation est affaire d’identité nationale. Voyage en Porsche Macan Turbo à la recherche de la frite parfaite.

Porsche Macan Turbo avec Pack Performance
Émissions de CO2 (cycle mixte) : 224–219 g/km
Consommation en cycle mixte : 9,7–9,5 l/100 km
Classe énergétique : E, Suisse : G (actualisation 2017)

Le Hof van Cleve

Le Hof van Cleve

Dans son restaurant trois étoiles, Peter Goossens sert des frites de qualité gastronomique.

Une fois par semaine, Peter Goossens s’accorde une généreuse portion de pommes frites, accompagnées de pickles, un condiment composé de légumes conservés dans du vinaigre, et de beaucoup de mayonnaise. Rien qu’à l’idée, le chef ferme les yeux de plaisir : les premières frites sorties du cornet brûlant encore croustillantes et fermes, les dernières, gorgées des délicieuses sauces, fondant littéralement dans la bouche. « Il faut bien s’accorder des petits plaisirs ! » commente le restaurateur belge triplement étoilé. Installé à Kruishoutem, à quelques kilomètres au sud-ouest de Gand, son restaurant, le Hof van Cleve, compte parmi les vingt meilleurs au monde.

Nombreux sont les pays qui prétendent avoir inventé ce mode de préparation des pommes de terre, sans doute le plus apprécié de tous. Le terme mondialement répandu de French fries suggère même que les frites seraient une création française. Cette théorie, les Belges la récusent catégoriquement. « Les pommes frites sont pour ainsi dire inscrites dans nos gènes. Il n’y a que chez nous que l’on trouve les vraies frites », affirme Peter Goossens en souriant. « Notre secret, c’est que nous les faisons frire deux fois. Mais, comme dans tout plat, la saveur dépend avant tout de la qualité des ingrédients. »

Église, marché, baraque à frites :

Église, marché, baraque à frites :

Le Frietparadijs de Kruishoutem est au cœur de la vie de cette bourgade flamande.

Dans le restaurant de Peter Goossens, la carte comporte toujours au moins un plat mettant les frites à l’honneur. Un choix audacieux pour un trois-étoiles. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelles frites : le chef a su élever leur préparation au rang d’art. Si les pommes de terre ne doivent pas être trop fraîches, elles ne conviennent pas non plus après un trop long stockage. En effet, l’amidon qu’elles contiennent se transforme lentement en sucre, ce qui se traduit par l’apparition de taches brunes à la cuisson. Le goût dépend également de la forme et de l’épaisseur du bâtonnet. Peter Goossens adapte ses frites gastronomiques en fonction des plats : celles qui accompagnent le faisan font exactement 5 mm d’épaisseur pour 8 à 9 cm de longueur, celles servies avec le bœuf wagyū peuvent être plus épaisses de deux millimètres. Bien sûr, toutes sont taillées à la main.

Toutefois, ce n’est pas dans les grandes écoles de cuisine parisiennes, où Peter Goossens a fait ses classes, que l’on apprend à ciseler la frite parfaite. Cette recette remonte à sa plus tendre enfance. « Chez nous, c’était ma mère qui faisait la cuisine, à une exception près : c’était mon père qui faisait les meilleures frites », raconte Peter Goossens pendant la pause, sur le parking en graviers du restaurant. Notre Macan Turbo s’y trouve entouré de sportives et de voitures de luxe, pour la plus grande joie de notre gourmet passionné d’automobile : Peter Goossens a participé plusieurs fois à l’événement belge Zoute Grand Prix, et même aux Mille Miglia pour la première fois en 2016. Il regrette de ne pas avoir le temps pour une virée à bord du Macan. Les clients attendent, le service doit reprendre.

Pourtant, le croustillant tant apprécié du plat national pourrait bien causer sa perte. En effet, la frite telle qu’on la connaît pourrait être mise à mal par la Commission européenne. En cause, l’acrylamide, une molécule cancérogène qui se libère principalement dans les produits à base de pomme de terre et de céréales lors de cuissons à haute température, comme la friture et le rôtissage. La Belgique craint pour sa tradition culinaire. Pour Ben Weyts, ministre belge du Tourisme, une interdiction par l’Union européenne de la tradition de double friture serait consternante. Cette méthode est selon lui la clé d’une saveur parfaite : le premier passage apporte le moelleux, le deuxième, le croustillant.

« Nous préparons les frites comme le faisaient nos grands-mères. » Stijn Vlaeminck

En Belgique, les baraques à frites font partie du paysage : le plat pays compte plus de 5 000 friteries, ou frituren en flamand, avec une densité particulière sur l’axe Bruxelles-Gand-Bruges. C’est du moins ce que prétendent les Flamands qui, depuis la nuit des temps, se disputent avec les Wallons la suprématie en matière de frites. Pour son petit plaisir hebdomadaire, Peter Goossens se rend quant à lui au Frietparadijs, sur la place du marché de Kruishoutem. Stijn Vlaeminck et Joshua van Loucke, tous deux reconvertis dans le marché de la frite, font tourner le commerce depuis quatre ans. « Cette frituur est un rêve d’enfance », confie Stijn Vlaeminck, ancien comptable. Joshua van Loucke, fleuriste de formation, explique : « Nous préparons les frites comme le faisaient nos grands-mères. » La recette : les bâtonnets de pommes de terre sont frits deux fois dans de la graisse de bœuf pure, puis servis avec de la stoofvleessaus. Cette sauce à la bière accompagne habituellement la carbonnade flamande, l’un des plats typiques de la région. Les deux restaurateurs la font spécialement confectionner chez un boucher, selon une recette secrète connue de lui seul. « Mais les clients sont unanimes pour reconnaître que nos frites sont les meilleures de la région. »

Le Frietparadijs

Les jeunes entrepreneurs Stijn Vlaeminck et Joshua Van Loucke ont réalisé leur rêve en lançant leur propre frituur.

Et pourtant, la bourgade de Kruishoutem et ses quelque 8 000 habitants compte à elle seule deux autres frituren. « Nous ne ressentons pas la concurrence », affirme Stijn Vlaeminck. Et à Gand, la ville voisine, où l’offre est encore plus importante, où allez-vous manger ? Stijn Vlaeminck n’hésite pas une seconde : « au Gouden Saté ! »

L’exception sans façon :

L’exception sans façon :

Le Gouden Saté de Gand est le rendez-vous des amateurs de frites.
Un riche héritage :

Un riche héritage :

Mathys van Laar, le propriétaire, a conservé le best-seller de son prédécesseur : le julientje, une bombe calorique à base de frites, de bœuf, de sauce de carbonnade et d’oignons.
Le Gouden Saté

Le Gouden Saté

Depuis plusieurs années, Mathys van Laar perpétue la tradition de la frite belge dans la ville universitaire de Gand.
« Les noctambules raffolent de notre julientje. » Mathys van Laar

Deuxième ville flamande de par sa taille, Gand compte plus de 30 000 étudiants. Situé sur l’Overpoortstraat, le Gouden Saté est le rendez-vous de tous les noctambules à l’heure du petit creux. Cette frituur incontournable a été ouverte il y a une trentaine d’années par un certain Julien. Si ce dernier n’est aujourd’hui plus de ce monde, sa création, le julientje, reste le plat préféré des oiseaux de nuit gantois. Il s’agit d’une gargantuesque portion de frites agrémentée de stoofvleessaus, de mayonnaise et de bœuf, le tout généreusement recouvert d’oignons frais et grillés. Mathys van Laar, qui sert le mets au comptoir, tient la friterie ouverte toute la nuit. Au petit matin, quand la ville ferme ses bars et ses boîtes de nuit, la file des jeunes gantois pressés dans l’échoppe s’étend jusque dans la rue. « Ils raffolent de notre julientje, parce qu’il est copieux, riche et savoureux », se félicite Mathys van Laar, alors qu’il sert à un jeune homme une montagne de frites disparaissant presque totalement sous les trois épaisseurs de sauce.

Sans nul doute, Gand est une référence. Mais les frites par excellence ne sont-elles pas celles de Bruges ? À cette question et sans surprise, les Gantois assemblés devant l’échoppe nient en bloc. Mais finissent par révéler où sont préparées les meilleures frites de la ville voisine : « Au Bosrand ! » s’exclament en chœur le serveur et ses clients. Mais avant de nous rendre sur place, nous faisons une halte au Frietmuseum, le seul musée au monde consacré aux frites, en quête de renseignements sur le célèbre bâtonnet de pomme de terre. La frite aurait été inventée en Wallonie au xixe siècle, par pure nécessité. Les pêcheurs de la Meuse avaient pour habitude de frire leurs prises ; mais une année, l’hiver fut si rude que le poisson vint à manquer, et ils n’eurent d’autre choix que de se rabattre sur les pommes de terre. Un expédient qui rentre rapidement dans le patrimoine culinaire belge. « Si les pommes frites sont devenues le plat national, c’est qu’elles s’accommodent avec tout et sont peu coûteuses, tout en étant très appréciées pour leur goût », explique Cédric van Belle, directeur du musée.

Le musée de la frite

Le musée de la frite

Ce musée situé à Bruges fait figure d’autorité en matière de frites.

Le Frituur Bosrand
Cindy Sanctorum fait frire les pommes de terre dans l’huile plutôt que dans la graisse. Cette recette a valu à sa friterie le titre de meilleure frituur de Belgique.

« La recette de notre succès : n’utiliser que des huiles végétales. » Cindy Sanctorum

Nous voici arrivés au Bosrand : une frituur aux abords de Bruges, loin des canaux pittoresques et du centre historique classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. À la tombée du jour, le petit parking faisant face à la friterie est presque plein. Cindy Sanctorum, la propriétaire, a fondé la maison il y a un quart de siècle : elle avait alors 18 ans : « Je ne voulais pas aller à l’université comme mes amis. Je voulais lancer ma propre affaire. » Depuis, sa frituur n’a fait que gagner en prestige, et emploie aujourd’hui quinze personnes. « La recette de notre succès : une friterie ouverte sept jours sur sept et des frites préparées exclusivement avec de l’huile végétale, comme le faisait ma grand-mère. Je n’aime pas la graisse animale », explique Cindy Sanctorum, dont la clientèle compte naturellement beaucoup de végétariens. Cette audace a été récompensée : le Bosrand a été élu meilleure frituur de Belgique, la reconnaissance suprême pour la propriétaire. Gert De Mangeleer, autre chef belge triplement étoilé, a nommé le Bosrand comme sa friterie préférée. Peter Goossens ne pouvait raisonnablement pas être le seul chef étoilé de Belgique à revendiquer son amour pour ce plat si profondément ancré dans la culture du pays.

Peter Goossens nous livre sa recette pour des frites parfaites en accompagnement d’un bœuf wagyū :

  1. Choisir des pommes de terre Alegria ou Bintje.
  2. Éplucher les pommes de terre, puis les détailler en bâtonnets de 7 mm de large et 8 cm de long environ. Les rincer brièvement sous l’eau froide et les répartir sur du papier absorbant pour qu’ils sèchent. Il s’agit d’une étape importante pour que les frites ne s’agglutinent pas après la friture.
  3. Pocher les bâtonnets durant quelques minutes dans de la graisse de bœuf pure chauffée à 160 °C. Ils ne doivent colorer que légèrement. Les déposer à nouveau sur du papier absorbant pour les laisser refroidir.
  4. Faire frire les frites deux à trois minutes dans de l’huile d’arachide chauffée à 180–190 °C jusqu’à ce qu’elles soient dorées et croustillantes. On peut ajouter des tranches d’ail à cette huile de friture pour lui donner une touche d’originalité.
Lena Siep
Lena Siep